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Les apports de la Convention du travail maritime 2006
en matière de sûreté et de sécurité.


Intervention du Cdt Hubert Ardillon lors du colloque MARISK - janvier 2012
 

       D'une façon générale, cette Convention apporte évidemment plus de sécurité pour les marins. On y traite des heures de travail, de repos, des conditions d'emploi, du confort, des loisirs, du bien-être. Il est évident, tout au moins aux yeux des marins et de leurs capitaines, qu'un équipage bien reposé est plus à même d'être vigilant, d'ajouter de la sécurité. Un équipage non reposé fera en premier l'impasse sur la sécurité pour effectuer un travail.

       Le confort, les logements, le loisir, l'alimentation, tout cela est un facteur important pour améliorer la sécurité à bord.

       Le bien-être des gens de mer aussi, s'il permet aux marins de pouvoir sortir à terre ou au minimum d'être visités par des groupes solidaires de leurs conditions, facilite la condition psychologique et donc le travail, et par là même, la sécurité.

       La section 2.3 (heures de travail et de repos) : l'obligation d'une organisation du travail affichée et de l'enregistrement des heures de travail et de repos permet de s'assurer de la fatigue de l'équipage. Le problème devenant alors l'honnêteté avec laquelle ces enregistrements seront faits. On ne peut exclure des malversations dans le but de ne pas déplaire à l'armateur ou la société de manning (trop d'heures supplémentaires par exemple) ou au vetting. On peut aussi assister à un réarrangement des heures travaillées afin de ne pas être dans le rouge.
       Je pense qu'il serait intelligent de permettre d'être dans le rouge par moments, à condition que cela ne se reproduise pas trop souvent bien sûr. Je pense par exemple à certaines opérations, les manœuvres d'accostage et d'appareillage. Généralement tout l'équipage est requis pour les amarrages/désamarrages, lorsque l'on travaille en 6/6 et que la manœuvre dure (qui peut parfois s'éterniser pour de multiples raisons), le marin va dépasser son quota d'heures de travail, et se retrouver en déficit d'heures de repos. Il n'est pas exceptionnel de voir un marin faire ses 6 heures normales de quart, puis 4 heures de manœuvre et d'avoir à revenir au quart 2 heures après la fin de la manœuvre. Si en tant que capitaine, je trafique les comptes (sans léser le marin sur son nombre total d'heures supplémentaires qui lui sera payées), il sera facile de s'apercevoir, lors de la première inspection, de la falsification car les heures travaillées ne correspondront pas forcément avec le journal de bord. Mais si d'un autre côté, je ne trafique pas, le marin se retrouvant dans le rouge, je suis aussi sujet à punition. Alors quelle attitude adopter ?
       Et attention, les 6 heures de repos consécutifs dans toute période de 24 heures précisent bien heures de repos, pas heures de sommeil. Pour un matelot faisant le quart en 6/6, dans les 6 heures de repos, il y a les repas, la toilette, etc., on est loin des 6 heures de sommeil.

       La section 2.7 (manning level) : cette section n'apporte rien de plus. Tant que les administrations autoriseront les navires caboteurs à être opérés à 5 ou 6 personnes, la section 2.3 de la même Convention ne sera jamais respectée. La sûreté ne sera jamais assurée non plus. La même personne ne peut pas s'occuper de sécurité, d'opérations commerciales, et de sûreté en même temps. Il faut des personnes différentes pour que tout soit géré au même moment. A 6 sur un caboteur cela est impossible sauf à travailler 20 heures minimum par jour. Sur n'importe quel navire, et à fortiori sur un caboteur armé à 6 personnes capitaine compris, pour assurer à la fois une opération commerciale, la sécurité et la sûreté, il faut au minimum 4 personnes valides qui tournent en 6/6. Comment faire ?
       Cela est aussi valable pour les navires plus importants. J'ai toujours été frappé par des décisions d'effectif de 16 personnes sur des pétroliers où il faut en opérations commerciales 3 personnes sur le pont qui tournent déjà en 6/6, une au PC cargaison et une à la machine, plus les inspections diverses, la cuisine, etc. C'est certainement d'ailleurs pour cela que les armements mettent en réalité au minimum 20 personnes sur ces navires. Une preuve que ça ne peut pas marcher à 16 ? Alors pourquoi les armements continuent-ils à présenter des décisions d'effectif à 16, et pourquoi les administrations continuent-elles à les accepter ?

       La section 2.8 : avoir l'opportunité d'un plan de carrière apporte indéniablement de la sécurité au marin. Ce n'est pas la sécurité telle qu'on l'entend habituellement, c'est la sienne propre, celle de sa famille. Pour cette personne avoir une sécurité d'emploi et d'avancement c'est aussi favoriser sa conscience de la sécurité à bord. Son aptitude et sa motivation à considérer cette sécurité comme primordiale à son emploi et à sa vie. Au lieu d'être sur un navire, il est sur son navire, différence importante dans la relation qu'il entretient avec son travail.
       Cela rejoint le titre 3 de la Convention (logements, loisirs, alimentation et service de table). Ce titre est peut-être le plus important de la Convention en termes de sécurité et de sûreté pour l'équipage, donc pour le navire.
       Le confort des emménagements, la taille des cabines, la ventilation, la lutte contre le bruit, la chaleur, le froid et les vibrations, tout cela est primordial pour la sécurité de l'équipage.
       Un équipage reposé dans de bonnes conditions (sinon il n'est pas reposé) est plus serein face à un travail souvent dangereux, donc il peut mieux se préparer surtout en matière de sécurité.
       C'est aussi valable pour les installations sanitaires, l'éclairage, toute l'hôtellerie et la restauration en général. Un bémol tout de même dans cette Convention (mais j'ai compris qu'elle était vivante et de ce fait appelées à être modifiée et améliorée) en ce qui concerne la restauration, si la Convention a des exigences, on peut remarquer que la Convention STCW n'en a toujours aucune en ce qui concerne la compétence professionnelle du personnel de cuisine. Autant tous les marins employés sur un navire doivent posséder en plus de leur brevet associé à leur fonction un tas de certificats de qualifications diverses et variées dès qu'ils ont à toucher le moindre appareil, autant le personnel cuisine (en dehors des qualifications normales de sécurité) n'a d'obligation de connaître les bases de son métier. Et croyez-moi passer plusieurs mois avec un cuisinier qui n'a de cuisinier que le nom sans connaître les bases de la cuisine, semble très très long.

Titre 4 : les soins.
       Obligation de soins pour l'armateur. Et d'une assurance protective en cas d'accident. Protection pour la santé et la sécurité. Tout cela est bon pour la protection du marin.
       A noter tout de même que l'exposition aux vibrations et au bruit ne fait partie que de la partie B, les guidelines, donc pas encore obligatoire. Mais il y a un mieux, j'ai connu le temps, pas très lointain, où les premiers moyens de mesure des vibrations étaient installés pour vérifier que les pompes à huile du moteur principal ne souffraient pas trop. Il y a quand même un mieux lorsqu'on s'interroge pour savoir si le marin ressent les mêmes vibrations que les pompes à huile, et s'il en souffre tout autant.

       Le bien-être : accès à terre aux installations de bien-être des gens de mer. Il y a une partie obligatoire afin d'y permettre l'accès. La sécurité y gagne (même principe que le confort, un équipage mieux reposé physiquement comme psychiquement travaille mieux et est plus concerné par la sécurité).
       C'est un point important car il y a un accroissement de la charge de travail pour les équipages, les nouvelles procédures imposées par les codes ISM et ISPS ne permettent guère de périodes paisibles de navigation au large. L'internationalisation des équipages isole les marins à bord. Les escales sont de plus en plus courtes, ce qui augmente l'isolement. Le problème de la sortie à terre concerne aussi la sûreté. Les pays signataires de la Convention s'engagent donc à favoriser, et surtout à ne pas interdire sous prétexte ISPS la sortie à terre de membres d'équipage. A noter que c'est aux États de s'assurer du financement de l'accès aux installations de bien-être. Dans notre beau pays, ces installations existent, mais leur financement repose sur un principe de volontariat et surtout de bénévolat. Donc sujet à difficultés plus ou moins grandes.

Titre 5

       Réclamations de l'équipage : important, à noter tout de même que meilleures seront les conditions d'emploi, de travail et de confort, moins il y aura de plaintes de l'équipage. Cependant ce point est important car il peut permettre à un équipage de faire en sorte que ses conditions d'emploi s'améliorent.

       Enfin je voudrais faire part de regrets dans cette Convention, en espérant que les futures améliorations les prendront en compte :

       D'abord la question de la pièce d'identité des gens de mer (la Convention 185). Bien qu'elle ne soit pas incluse dans la MLC 2006, c'est un facteur important de la sûreté des navires, en plus de la facilitation des déplacements, donc des relèves, et donc du travail des équipages.

       En ce qui concerne les capitaines, deux regrets à exprimer, qui vont aussi dans le sens de plus de sécurité : il s'agit de dispositions qui pourraient être prises pour garantir l'autorité du capitaine, certes le code ISM précise bien que le capitaine est en dernier ressort le preneur de décision en termes de sécurité (et on ne se prive pas de le lui rappeler lors d'incidents), mais aussi, et surtout, pour lui offrir des recours lorsque celui-ci subit des pressions de son armateur, par exemple pour décider d'un appareillage alors que l'effectif n'est pas suffisant pour assurer la sécurité à bord.

Cdt Hubert Ardillon
Président de l'AFCAN

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