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But du voyage : démolition. Le capitaine responsable ?
Le capitaine seul coupable !




       Le 15 janvier, un article d'IHS Maritime nous apprend que la première suspension d'un capitaine Européen pour avoir été en charge d'un navire conduit à la démolition en Inde au départ d'Europe révèle qu'il existe des risques légaux pour les équipages participant à ces opérations, sur les compagnies Européennes.

Le 26 mars 2013, le HMS Laurence, porte-conteneurs pavillon Pays-Bas, armateur MSC, au départ d'Europe a été conduit sur une plage de démolition à Alang. Infraction au règlement U.E. sur les déchets. Évidemment sous la conduite d'un capitaine qui a seul été sanctionné, et non la compagnie. A la suite d'une indication de juristes de l'AKD, le comité néerlandais de discipline du shipping (Tuchtcollege Voor De Scheepvaart) a trouvé que l'action du capitaine était une infraction à l'article 55a de la loi sur les marins, défaut à son devoir de « responsabilité envers l'équipage, le navire, la cargaison, l'environnement et le trafic ». AKD indique que la compagnie pourrait être aussi responsable. Suite à une demande d'IHS Fairplay à ce propos, AKD a promis une réponse dans la semaine suivante, mais il semble que cette réponse ne soit jamais parvenue. La suspension du capitaine est prononcée avec sursis, sous condition d'une période de probation de deux ans pendant lesquels il n'agirait pas en infraction sur la « responsabilité envers... etc… », à l'appréciation de l'AKD. De plus, T. Wegner (cabinet O&W Lawyers, Hambourg) a déclaré que si le capitaine n'avait pas explicitement dit au nom de qui il agissait, aucune action n'était possible. Mais, si par « some means » il devenait possible de prouver une subordination quelconque, il est possible que la compagnie soit impliquée. Il ajoute que le sursis est attribué personnellement et, dans le cas précis, il est possible de considérer que la faute du capitaine n'est pas si grave, le comité ayant peut-être considéré le capitaine comme le bras de la compagnie. Mais il conclut par la menace de sanction ferme sans sursis si de telles actions devenaient fréquentes.

C'est une infraction aux lois Européennes, d'exporter des déchets de pays U.E. vers des pays non membres de l'European Free Trade Association, ou non membres OCDE. Malgré cela, on sait que la mise à la plage des navires, de compagnies Européennes, pour démolition arrive fréquemment. Les informations sont mises en ligne par des ONG comme NSP (NGO Shipbreaking Platform). Mais l'infraction reste difficile à prouver à cause d'une faille dans les règles sur la démolition (Convention Hong Kong et règle Européenne sur le recyclage des navires), règles basées sur la géographie et non sur la propriété. Ainsi, une escale commerciale, par exemple, à Dubaï, brise le fait d'exportation directe de l'U.E.. I. Jenssen, fondateur et policy advisor de NSP, a toujours contesté, arguant du fait que la vente à un démolisseur n'est pas décidée du jour au lendemain.

Dans le cas précis, on parle de flagrant délit mis en avant par AKD, une vidéo mise en ligne par le capitaine, montrant clairement qu'il commande et qu'il ne peut ignorer la destination du lieu d'échouage clairement visible. T. Wegner insiste en qualifiant la décision de « warning shot » pour la profession, les exploitants pourraient faire face à des poursuites et le fait que l'équipage soit conservé depuis le départ d'Europe serait une indication supplémentaire de l'intention de démolition. Il ajoute que le cas montre les failles des règles, tout en nuançant vis-à-vis des armateurs qui n'ont pas toujours le choix pour effectuer des démolitions propres et peu coûteuses.

Tout cela amène quelques commentaires supplémentaires. Une recherche indique que l'association Robin des Bois, en 2013, avait qualifié de scandaleux le recyclage du HMS Laurence. Une recherche sur les attendus d'une décision de juristes nous amène au cabinet ILO (International Law Office), cabinet de lawyers travaillant en ligne, qui a publié un compte rendu/avis où AKD est indiqué comme étant contributeur. Le texte est accessible (décembre 2015, avec même la photo du rédacteur): https://www.akd.nl/Downloads/PublicatiesPDF-EN/04-01-2016_ILO_TvHovell.pdf Le texte indique l'infraction à: la loi néerlandaise sur les marins art. 4 et 55a, sur les déchets art 10.60, loi Européenne sur les déchets art 2.35, 34 et 36 annexe 5. Le texte indique que le comité de discipline, vu l'avis et la vidéo, ne pouvait savoir sous quelle autorité le capitaine agissait, n'ayant pas eu connaissance de rapport l'indiquant explicitement.

Feindre d'ignorer l'autorité de l'armateur est très étonnant, celui-ci aurait payé les frais du voyage, avec le péage de Suez, «à l'insu de son plein gré» (comme il avait été dit dans un milieu sportif). On peut penser que, avec la vidéo, NSP s'est adressé à ce cabinet ILO, travaillant par Internet, en contact avec AKD qui a actionné le comité de discipline. On peut remarquer que le texte indique des infractions qui vont bien dans le sens de l'ONG (pouvant être qualifiée de cliente de ce cabinet ?) s'arrêtant aux infractions environnementales. En effet, ignorer la subordination à l'armateur peut amener à qualifier le capitaine de «naufrageur», chose heureusement «ignorée». C'est, à mon avis, montrer la fausseté ou l'hypocrisie de la sanction au seul capitaine, sanction se voulant probablement un avertissement à la profession (avis de T. Wegner). La condamnation du capitaine étant alors un dommage collatéral sans vraiment d'importance, sauf, bien entendu, pour l'intéressé qui, semble-t-il, n'a même pas été entendu par ILO et/ou AKD.

Je rajoute que cela me rappelle la réflexion d'une association environnementale entendue après la récente condamnation à deux ans de prison du capitaine Mangouras (Prestige): Oui, c'est vrai, mais c'est un premier pas amenant la mise en cause de l'armateur (et de l'assureur), puisque ABS a été blanchi. Là aussi, pour ces personnes, la condamnation du capitaine ne semble pas recherchée en tant que telle, mais un simple acte de procédure (!).

Dans le même ordre d'idée, le Bureau d'enquête accidents US (branche autonome des USCG) a commencé (février) la recherche sur le naufrage de l'El Faro. Avant même le début de l'enquête: «The board also recommended criminal action against the owner, Marine Transport Lines, and moved to suspend the licence of the regular master of the ship, who was not on board at the time of the sinking.» (Citation IHS Maritime). ABS n'a pas encore été cité sinon pour dire que le navire était en règle.

Gardez-vous bien! Bonne navigation.

Cdt Ph. SUSSAC

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