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Enjeux judiciaires de l'action de l'État en mer,
et ordre public en mer
 

Avec l'aimable autorisation du Général d'Armées Marc WATIN-AUGOUARD, nous reproduisons son intervention faite lors des huitièmes rencontres parlementaires du Naval de Défense sur l'action de l'État en mer et la fonction Garde-côtes

       Je vais aborder le problème de la mer au travers du prisme de la puissance publique. On ne peut pas construire une politique de l'action de l'État en mer, une politique de garde-côtes, une Fonction Garde-côtes, sans puissance publique, c'est-à-dire sur la capacité pour l'État de réglementer, de contrôler, de contraindre au besoin par l'emploi de la force, sans la possibilité pour l'État de faire poursuivre devant les juridictions compétentes, les auteurs d'infraction.

       Il n'y a pas une mission de l'action de l'État en mer sur les 45 qui ont été recensées par l'arrêté du 22 mars 2007 qui ne s'appuie sur un corpus juridique qui donne des pouvoirs aux acteurs. Les autorités désignées l'ont été pour prendre un certain nombre de mesures de police. Plus l'action en mer est appelée à se développer, plus les menaces venant de la mer sont appelées à se renforcer et plus nous serons appelés à travailler justement sur cette puissance publique en mer, qui est à la fois la souveraineté sur nos eaux territoriales et un élément qui soutient notre responsabilité en dehors des eaux territoriales, là où nous avons des intérêts, là où nous sommes les représentants à un moment donné de la communauté internationale, parce que nous avons souscrit un certain nombre de traités et d'accords.

       Cette fonction de puissance publique a pris un essor considérable en 1994. Relisez les travaux parlementaires qui ont conduit à la loi du 15 juillet 1994, et à ce que soit substituée à une «simple instruction» du Premier Ministre, une loi. Le Parlement s'est engagé en donnant des pouvoirs aux agents de l'État pour assurer justement cette puissance publique en mer. Cette loi de 94 est véritablement un tournant dans l'histoire même de l'action de l'État en mer. La loi du 5 janvier 2011, relative à la piraterie maritime, est dans la continuité de cette montée en puissance de l'action de l'État.

       Je ne vais pas faire devant vous une leçon introductive du collège de France, où je vais vous expliquer qui sont les autorités, qui sont les acteurs, qui sont les pouvoirs, quelles sont les lois spéciales, comment elles s'articulent. Je vais vous emmener en voyage et nous allons partir en mer. Nous partirons depuis la terre et vous allez comprendre pourquoi nous avons encore du travail à accomplir en mer et même sur terre, pour véritablement avoir l'ensemble des instruments nécessaires à une véritable politique publique de l'action de l'État en mer.

       Nous sommes au bord de la plage et nous nous posons la question en regardant la mer : «Qui commande la mer ? Qui l'administre ? Qui la gère ? Qui est en charge de la responsabilité en matière de pouvoir de police ?».

       Alors je prends mon Code général des Collectivités territoriales, issu des lois du 14 décembre 1789, et je lis : «Le maire, lorsqu'il est dans une communauté riveraine, est responsable de la police municipale sur le rivage jusqu'à la limite des eaux». Dès que nous avons les pieds mouillés, ce n'est plus lui qui est responsable. Sur les eaux, il a droit néanmoins à l'exercice d'un pouvoir de police spéciale, sur les baignades et sur les activités nautiques. Le décret du 6 février 2007 attribue au préfet maritime un certain nombre de compétences : «Le préfet maritime, est compétent jusqu'à la laisse de basse mer». Sur la Méditerranée, c'était d'ailleurs autrefois le Code justinien qui s'appliquait, il n'y avait pas de marée. Là où il y a des grandes marées, où s'arrête la compétence du maire et la laisse de basse mer, qui commande ? Qui administre ?

       Cette histoire n'est pas complètement anecdotique. Quand il y a eu lieu le G8 de Deauville, nous avons constaté qu'il y avait des portions de la laisse de basse mer, à la limite des eaux, où personne n'était en charge de la circulation maritime. Il faut donc aujourd'hui revoir nos textes et les mettre en harmonie en donnant au préfet maritime une compétence jusqu'à la limite des eaux.

       Lorsque le préfet maritime est compétent, il peut prendre des arrêtés d'interdiction. Il l'a fait récemment en Méditerranée. Un arrêté d'interdiction interdit à tout navire de traverser la zone interdite. L'infraction relève du Code des transports (article 52 42-2) qui prévoit une peine de six mois de prison et 3 750 euros d'amende, à quiconque qui aura transgressé les pouvoirs ou les interdictions du préfet maritime. Mais lors du G20, le Parquet a précisé le détail suivant : l'infraction peut être constatée mais ne peut pas être poursuivie en raison de la question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil Constitutionnel ayant déclaré les tribunaux maritimes commerciaux contraires à la Constitution. Par conséquent nul ne peut poursuivre cette infraction quand elle est prise seule. Le Parquet recommande de chercher une infraction connexe pour faire en sorte que l'on retrouve la compétence des Parquets de droit commun. Aujourd'hui il faudrait presque trouver un juge à chaque infraction. Les magistrats de la Cour de Cassation font ce même constat de vide, de déni de justice, de déni d'administration sur les espaces.

       Quittons cet espace et entrons dans les ports. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, il a été décidé de renforcer la sûreté maritime portuaire. La sûreté maritime portuaire, ce n'est pas faire du travail de douanier ou des affaires maritimes. Ne confondons pas sûreté portuaire, c'est-à-dire la prévention des actes de terrorisme, prévention des actes de malveillance, avec le trafic des marchandises, avec la sécurité telle qu'on l'entend au sens de la sauvegarde de la vie en mer ou de la prévention de la pollution, ce sont deux choses différentes. La sûreté maritime portuaire c'est la prévention des actes de terrorisme, tels qu'elle a été voulue, au travers du code ISPS, avec l'engagement de tous les États pour faire en sorte que cette sûreté portuaire soit assurée.

       Aujourd'hui, nous ne pouvons qu'appliquer le Code des transports, l'article L 5336-2 ou 32-6, qui autorise à faire des visites en vue de prévenir des actes de terrorisme, ou de prévenir des actes de malveillance par des officiers d'OPJ dans des zones restreintes et sur les navires qui sont à quai. C'est le principe du Cheval de Troie et nous acceptons qu'il soit à l'intérieur. L'affaire est réglée.

       Nous en avons déjà perdu la guerre. Il faut donc pouvoir faire des opérations à l'extérieur du port, et non pas à l'intérieur des limites administratives. Il faut travailler en amont, c'est-à-dire dans les eaux territoriales certes, mais travailler sur les zones d'attente, et travailler dans la Zone Maritime et Fluviale de Régulation (ZMFR). Les textes qui permettent de monter à bord des bateaux sont trop imprécis par rapport à la mission. Les textes relatifs à la sauvegarde de la vie en mer, l'habitabilité et même le futur décret de l'article 3-3 -qui investit les gendarmes de missions d'inspection liées aux actes de police administrative et qu'ils peuvent conduire pour contribuer à la sauvegarde de la vie en mer- sont des vecteurs insuffisants.

       Le décret de 2007 sur la sûreté n'est pas suffisant, malgré l'article 7 qui évoque les explosifs et les armes ; malgré l'article 19 qui oblige les navires étrangers à se conformer aux règles de sûreté, édictées par l'État français ; malgré l'article 20 qui habilite les officiers et les agents de police judiciaire. Je m'adresse au législateur : il faudrait écrire dans l'article 5336-2 ou 32-6 la chose suivante : «les présentes dispositions -celles qui permettent d'agir à quai- s'appliquent également à tous les navires contrôlés en zone d'attente, et dans les zones maritimes de régulation fluviale de régulation. Ce support législatif est indispensable. Pour appliquer une règle de contrainte, il faut une loi. C'est d'ailleurs ce qui a été fait en 1994.

       Cette situation serait aussi bonne pour les navires qui arrivent et qui ont tout intérêt d'être blanchis avant d'entrer au port parce que cela facilite les opérations commerciales. Mais que vaut l'engagement ou l'accord du capitaine ? Est-ce que l'accord du capitaine a une portée juridique par rapport aux actes qui vont être accomplis ? Je ne le pense pas, et il faut impérativement que les choses soient clarifiées.

       Quittons les ports, mais restons devant. Nous nous trouvons confrontés à un rassemblement illicite d'embarcations, planches à voile, petites barcasses, bouées canards, bref, tout ce qui ne s'appelle pas navire, et qui est rassemblé devant le port d'une manière volontaire, pour créer un trouble à l'ordre public. Dans une circonstance d'attroupement, il faut régler le problème avec les règles du maintien de l'ordre public classiques. On va me dire : «Non pas d'ordre public en mer, pas d'attroupement». Pourtant il y en a. Deuxièmement on me dit : «Non ce n'est pas possible parce qu'en mer, ce n'est pas un attroupement, c'est la loi de 94 qu'il faut utiliser». Ensuite on me dit : «Quand on parle d'attroupement, c'est sur la voie publique». C'est exact, mais cela concerne aussi «les lieux ouverts au public», c'est-à-dire les lieux publics. Or la mer territoriale est par définition un lieu public.

       Nous sommes dans une situation où rien de ce qui concerne l'ordre public n'a été écrit par des personnes qui avaient reçu les embruns de la mer et le souffle du large mais par des gens qui ont les pieds sur terre. Tant mieux dans une certaine mesure ! Mais aujourd'hui, il faut impérativement reconnaître à l'autorité maritime -qui est le préfet maritime- le pouvoir de mettre un terme à un rassemblement illicite et à un attroupement. Or, l'article 431.3 du Code pénal cite les autorités en charge de la réduction de ces attroupements : les préfets, les maires, les commissaires de police et les officiers de gendarmerie. Il ne mentionne pas le préfet maritime, ni le délégué du Gouvernement pour les affaires de la mer en Outre-mer. Il faut maritimiser tous les textes concernant l'ordre public en mer. Il faut les maritimiser, en reconnaissant au préfet maritime, au délégué du Gouvernement pour l'Outre-mer, les mêmes compétences que celles qui sont reconnues auprès des préfets terrestres, parce qu'il peut y avoir des circonstances dans lesquelles ils sont face à un maintien de l'ordre de droit commun, où la loi de 1994 ne s'applique pas. Je me demande d'ailleurs si cette loi de 94 pourrait s'appliquer à une collection de navires avec une identité et un pavillon, mais qui auraient été rassemblés, et immobilisés pour servir d'obstacles. Il y a une véritable réflexion à mener sur la problématique du maintien de l'ordre en mer.

       La loi de 1994 est une loi tout à fait intéressante et extraordinaire parce qu'elle s'applique dans les eaux territoriales, mais également en dehors des eaux territoriales avec bien sûr des limites que vous connaissez au regard des règles du droit international. En quoi cette loi de 1994 est-elle compatible ou incompatible avec un certain nombre d'autres règles qui permettent l'emploi de la force ? Par exemple l'article 56 du Code des douanes donne aux douaniers un droit d'usage des armes, non pas exorbitant du droit commun, mais très différent parce qu'ils peuvent arrêter une embarcation avec usage des armes à chaque fois que cela est nécessaire. Les gendarmes disposent également de l'article L 2238-3 du Code de la défense, qui leur permet également d'utiliser la force. La question s'est posée au moment d'opérations type «Thazard» en Guyane, lorsqu'il s'agissait de mettre un terme aux exactions commises par des tapouilles brésiliennes qui venaient pêcher de manière illégale.

       Après avoir réfléchi à la question, je me suis rangé du côté du Secrétariat Général de la Mer. A partir du moment où nous avons une loi spéciale, qui prévoit une procédure d'emploi de la force, je pense que toutes les autres règles qui existent et qui préexistent, sont écartées parce que justement il y a une procédure spéciale qui a été prévue par la loi.

       En mer, lorsque l'on veut combiner les deux règles, que ce soit l'article 56, la loi de 94 et l'article 2338-3, on a tort parce que c'est la loi de 94 qui l'emporte. Mais a contrario, la loi de 94 concerne des navires qui ont été identifiés, puisque la visite c'est la reconnaissance et la reconnaissance c'est connaître l'identité du navire et son pavillon. Il y a donc bien une identité. C'est bien un navire immatriculé. Tout ce qui n'est pas immatriculé, n'entre pas pour moi dans la loi de 94. Par conséquent pour tout ce qui est embarcation ou engin flottant qui n'a pas les caractéristiques d'un navire, qui n'a pas la capacité d'affronter les dangers de la mer, qui n'est pas immatriculé, on retrouve la capacité d'utiliser ces articles, d'ailleurs l'article 56 du Code des douanes et l'article L 2338-2 ou 3 du Code de la Défense le précisent. Mais il faut admettre que ce ne serait que dans un cas d'absolue nécessité, comme l'a privilégié la Cour de cassation, et pour des délits passibles d'une peine au moins égale à cinq ans. Autre question concernant la loi de 94, les contrôles d'identité sont un sujet passionnant, posé au moment du G 20. Lors de ma tournée des Parquets généraux, quand je m'intéressais aux questions maritimes, je leur ai dit : «La mer territoriale c'est, sous réserve du droit de passage, un espace sur lequel la souveraineté est totale et sur lequel le Code de procédure pénale s'applique totalement». Pourquoi ne pas imaginer pouvoir, sur réquisition du Parquet, rechercher des infractions, ou lors d'un trouble possible à l'ordre public procéder à des contrôles d'identité ? Quelle a été la réponse de la Direction des Affaires criminelles et des Grâces ? Elle a repris la loi de 94 en disant qu'il y avait une loi spéciale. Lorsqu'il y a une loi spéciale, tout s'efface, tout disparaît, en particulier les articles 78-1 et suivants du Code de procédure pénale sont inapplicables, notamment le 78 2- 2, qui mentionne les véhicules terrestres. Or un bateau n'est pas un véhicule terrestre.

       J'admets cette analyse mais dès lors que nous n'avons pas affaire à un navire couvert par la loi de 94, il faut pouvoir contrôler l'identité des personnes. Nous ne pouvons pas accepter que des gens sur un rafiau qui n'est pas immatriculé, qui ne relève pas de la loi de 94, puisse menacer les intérêts de l'État, puissent menacer l'ordre public, puissent commettre une infraction, sans aller vérifier leur identité, comme si il y avait un Droit sur la mer différent du Droit sur la terre. Cela reviendrait à inciter les individus à commettre leurs exactions en mer, où ils seraient plus garantis d'une certaine liberté et d'une certaine impunité.

       Dans cet «infra-navire», il faut pouvoir appliquer le principe des premiers articles du Code de procédure pénale, s'agissant de l'ordre public et s'agissant des infractions. Ensuite, il faut se demander si la loi de 94 s'intéresse aux personnes qui sont à bord du navire, ou si elle s'intéresse au navire. Lors de la visite du navire, un contrôle des documents de bord est effectué ainsi qu'un contrôle de l'état des passagers et de l'état des personnes qui font partie de l'équipage. Est-ce que c'est parce qu'on contrôle le navire, ou parce qu'on contrôle les personnes ? Le navire fait écran, mais s'agissant des infractions et des troubles à l'ordre public, le navire ne peut plus faire écran. Il y a une vraie question sur la compatibilité de cette loi de 94 avec le Code de procédure pénale. Il me semble -et je serai très discipliné vis-à-vis de la Chancellerie- qu'il faut l'appliquer, mais que cela mérite quand même réflexion parce que je ne suis pas convaincu que tous les aspects aient été bien pris en compte. Pour écrire un texte il ne faut pas l'écrire dans un bureau mais il faut partir en mer, rester cinq jours en «mer 4» ou en «mer 5». Je pense que cela permet aux textes et à leurs auteurs de mûrir.

       Enfin, éloignons nous des ports pour nous rendre en haute mer, pour aborder le problème de la piraterie. La piraterie est un sujet qui a été largement traité par la loi du 5 janvier 2011, qui a créé une procédure particulière, qui fait écho aux condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme et bien sûr à la suite de l'affaire du Winner.

       Le sujet est aujourd'hui traité, depuis la capture des pirates jusqu'à la phase judiciaire, qui commence au moment où le pirate est remis aux enquêteurs pour que ceux-ci le mettent en garde à vue. C'est une phase qui précède une mesure de restriction, de privation de liberté, naturellement sous le contrôle de juges. Quand le législateur a écrit cette loi, je ne sais pas s'il pensait qu'il y aurait une affaire de type Tribale Kat. Dans cette affaire, nous ne sommes plus dans la tragédie avec unité de temps, unité de lieu et unité d'action, mais avec une dualité d'actions. En même temps que l'opération «Atalante» sauvait la rescapée et récupérerait le Tribale Kat à la dérive, en même temps il y a eu décision de la justice française de se saisir et donc en même temps enquête. Il y a eu simultanéité d'une opération militaire à vocation judiciaire et d'une opération judiciaire. Cela met en lumière ce qui n'avait peut-être pas été prévu, la nécessité d'une bonne articulation, parce que qu'il faut séparer absolument les pirates et les enquêteurs. A défaut, on pourrait toujours dire après qu'il y a eu un contact entre les enquêteurs donc que les droits de la défense ont été bafoués et ainsi remettre en cause la stabilité de l'enquête.

       Il faut néanmoins admettre une parfaite interaction entre l'enquête d'un côté et l'opération de l'autre. Le juge et les enquêteurs ne peuvent pas négliger les contraintes de l'opération et l'opération militaire ne peut pas négliger les contraintes de l'enquête. Je ne conteste pas le fait que -même si cela ne fait pas toujours plaisir– ces opérations sont des opérations militaires avec des moyens militaires. Je ne vois pas quelle institution pourrait mettre d'autres moyens dans ce cas, quoiqu'il y ait des moyens de surveillance aérienne alloués. Je ne conteste pas non plus le commandement militaire de ces opérations. Je dis simplement que la finalité des opérations de lutte contre la piraterie, c'est certes de garantir la liberté de la mer, mais lorsque la personne est appréhendée, c'est de la conduire, de la déférer devant la justice qui aura été saisie. C'est le vrai critère finaliste. Si l'on me dit que ce n'est pas bon, alors il faudra demander au Tribunal des conflits de revoir sa jurisprudence de 1978, Société Le Profil, qui dit qu'à partir du moment où on agit pour constater une infraction, rechercher les auteurs et déférer devant la justice, on est dans une opération judiciaire. Que ce soit l'enquête judiciaire ou l'opération militaire elle-même, c'est la même finalité qui est recherchée. L'intérêt de l'opération c'est cette articulation, selon laquelle, tout le monde comprend tout le monde. Il faut que le juge connaisse les contraintes de l'opération et que l'opération considère que même la scène de crime fait partie des éléments essentiels qui doivent être préservés, certes avec des arbitrages et avec la nécessité de donner la priorité à la recherche des personnes. C'est un tout. Dernier point sur la piraterie, les entreprises de services de sécurité de défense sont un sujet à l'ordre du jour. Comme la piraterie se développe, un certain nombre d'armateurs qui battent pavillon français voudraient être mieux protégés. Jusqu'à maintenant, la Marine a mis en place des EPE, des Équipes de Protection Embarquées, qui répondent à une demande. Mais avec la réduction du format de la Marine, l'offre est de plus en plus difficile.

       Les moyens sont contraints avec les rabots de la RGPP, qui passent les uns après les autres, le paiement et le financement de ces opérations posent problème. Les armateurs français veulent quitter le pavillon français si nous n'acceptons pas une certaine libéralisation du système et que des sociétés de services de sécurité ou de défense puissent agir et intervenir. Ils veulent pouvoir bénéficier de protection avec des sociétés qui sont essentiellement anglo-saxonnes. Aujourd'hui il y a de grands principes régaliens «l'État c'est moi» dit l'État mais il y a la contrainte financière. Cela me rappelle cette espèce de mouvement des plaques tectoniques des années 80, quand on a dit : «Il n'y aura jamais de sécurité privée en France». Il y a eu la loi du 12 juillet 1983 et aujourd'hui nous voyons ce que la sécurité privée a apporté, notamment au moment du passage de l'euro. Ce sont les sociétés privées de sécurité qui ont réalisé la majeure partie du travail.

       Les grandes questions actuelles sont : le faisons-nous ? Et jusqu'où le faisons-nous ? Il faut le faire modérément. L'Inspection Générale des Armées a remis un rapport au ministre dans ce sens : il faut articuler l'action de l'État en mer et l'action -modérée- pour le compte de l'action de l'État en mer. Si nous n'ouvrons pas modérément, le privé risque d'agir à la place de l'État en mer et ce jour là, les choses ne seront sans doute pas tout à fait conformes à ce que nous espérions.

       Rien ne peut se construire sans avoir une vision dans la profondeur. La vision dans la profondeur, c'est le continuum spatial depuis le port jusqu'à la haute mer. Le discontinuum est uniquement juridique, parce que la souveraineté diminue lorsque nous passons en dehors des eaux territoriales puis en haute mer. Mais ce continuum de la terre vers la haute mer me paraît essentiel. Il ne peut exister que, parce qu'il s'appuie sur une dorsale. Cette dorsale, c'est la Marine qui est plus qu'une armée de mer. La Fonction Garde-côtes est construite à partir de cette dorsale, en partant de la terre en regardant la mer, en agrégeant sur cette dorsale les compétences et les attributions venant des services publics que sont les douanes, les affaires maritimes, la gendarmerie départementale. C'est de cette manière qu'il faut voir les choses pour ne pas entrer dans une stratégie de millefeuilles ou de parcs à huîtres, où chacun aurait son petit bout de mer et sa petite compétence. Ce serait insupportable et on en arriverait à créer une Garde-côtes autonome parce que quelqu'un aurait voulu être le garde des Garde-côtes !!!

       Il faut vraiment avoir cette vision dans la profondeur. Il faut également regarder derrière parce que nous ne devons pas négliger l'hinterland. La façade de la Manche et le canal Seine-Nord de demain seront des articulations entre la mer et l'espace intérieur au travers des canaux à grand gabarit. La Fonction Garde-côtes est là pour être l'interface -l'intersection en termes mathématiques- entre un espace tourné vers la mer et un espace tourné vers la terre. A Lille, tous les gens qui sont à côté de la frontière ont une conscience frontalière avec la borne des 20 kilomètres, l'espace Schengen et l'articulation entre la France et la Belgique. Au bord de l'eau, vous avez l'impression qu'il y a des gens qui ont une conscience de la mer et que sur terre, les gens n'ont conscience de rien et regardent la préfecture d'une manière radiale, l'impression que personne n'a une vision latérale, longitudinale, de façade. Si nous voulons que la Fonction Garde-côtes fonctionne bien, que nos frontières soient protégées depuis le plus loin jusqu'à la partie où le maire surveille les apprentis-nageurs, il faut impérativement que les côtiers soient complètement imbriqués et impliqués dans cette Fonction Garde-côtes.

       Cette vision est la mienne, elle n'engage pas l'État-major. Mais j'y crois ! Faire en sorte que la Fonction Garde-côtes soit un cluster de compétences qui s'articulent sur la dorsale forte qu'est la Marine nationale avec l'ensemble des acteurs qui sont sur le territoire dans cette bande des 20 kilomètres qui reçoit les embruns et les vent du large, c'est avoir véritablement une conscience maritime.

Général d'Armées Marc WATIN-AUGOUARD


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